Otto Dix "La guerre" 1929-1932

Otto Dix, "La guerre", 1929-1932, triptyque.

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Contexte historique

Il s´agit bien sûr de la 1re guerre mondiale. Dix réalise ce tableau 11 ans après la guerre, et nous renseigne sur les tenues des soldats et les armes nouvelles: on voit les casques, les équipements, les fusils, un masque à gaz. Cette oeuvre est donc un réel témoignage, car Otto Dix a lui-même été soldat pendant cette guerre.
Cependant, Dix ne donne aucun indice pouvant nous permettre d´identifier une personne, un lieu ou un moment précis: ces images montrent l´horreur de la guerre en géneral, et pas une scène précise.
Les 3 parties de ce triptyque se lisent de gauche à droite et illustrent 3 moments d´une journée: le matin à gauche, le plein jour au centre, et le soir à droite, qui symbolisent le départ, le résultat de la guerre, alors que le panneau de droite montre l'entraide, l'aspect humain.

Analyse de chaque partie du triptyque

Le panneau de gauche
C´est le matin, le départ vers le front: les soldats avancent dans la brume.
Pourquoi cette brume? Sans doûte par souci de réalisme, mais aussi probablement pour évoquer le flou, l´incertitude dans lesquels avancent ces hommes: ils ignorent tout de ce qui les attend. La brume est une métaphore du doûte et de l´ignorance.
Ces soldats sont vus de dos, ce qui donne d´eux une image neutre, impersonnelle, puisqu´on ne voit pas leurs visages; ils sont tous identiques. De plus, le point de vue pris par le peintre est aussi celui d´un soldat, comme si le peintre était juste derrière les soldats du tableau, donc comme si nous-mêmes les suivions.
Et on voit 2 groupes de soldats sur 2 niveaux différents, comme s´ils s´enfonçaient dans la terre et la brume...

Le panneau central
Nous sommes en pleine journée, après une bataille. Les bâtiments sont détruits - aucun matériau n´a résisté: le mur de pierre, le bois des arbres et la tôle ont tous été touchés-, les arbres sont calcinés, et leur alignement en arrière-plan mène à un point de fuite et un horizon désespérément vides et dévastés, montrant ainsi l´étendue du désastre.
Les différents stades de la mort et de la décomposition y sont visibles de bas en haut:
- en bas, rouges, des entrailles encore sanguinolentes, des corps récemment éviscérés
- juste au-dessus, un corps à l´envers, criblé de balles (à comparer avec le mur de gauche qui est troué), et dont la tête verdâtre prouve qu´il est mort depuis longtemps
- et enfin tout en haut, un corps squelettique, depuis longtemps décomposé, desséché, accroché en hauteur et donc dominant cette scène: une image de la mort qui dirige tout, le doigt pointé vers les cadavres et le panneau de droite. Et si l´on prolonge un peu le bout de son doigt, on atteint le point de fuite: même à l'horizon, il n'y a aucun signe d'espoir, tout est dévasté.
Le seul soldat vivant porte un masque à gaz et reste donc totalement anonyme, on ignore son identité, son expression.

Le panneau de droite
C´est le soir. L´horizon, que l´on apercevait encore dans les 2 panneaux précédents, est remplacé par du feu et de la fumée, ce qui rappelle la représentation de l´enfer dans de nombreuses peintures religieuses.
Le personnage central tient un blessé (il a un bandage sur la tête): c´est le moment de sauver ceux qui peuvent l´être. Or, ce personnage, grand, imposant, n´est pas un soldat, ce n´est qu´un homme tout simplement: il ne porte pas la tenue et les équipements d´un soldat. Seul élément stable et solide du tableau, peint en gris-bleu, il évoque plus une statue de pierre. Or, il s´agit de Dix lui-même, son visage est un autoportrait (pour comparaison: autoportrait de 1942), et il nous regarde.
Pourquoi se représenter lui-même ainsi? Sans doûte tout simplement parce qu´en tant que soldat, il a réellement vécu cette situation; mais faut-il y voir aussi une allégorie du rôle de l´artiste, dont la mission est de nous prendre à témoin et de nous interroger sur l´intérêt de tout cela?

La prédelle
En dessous des autres et donc aussi en dessous du sol représenté au-dessus, cette partie montre des soldats vraisemblablement morts, vu leur position et leur immobilité, comme déjà enterrés. De plus, la caisse en bois dans laquelle ils reposent ressemble à un cercueil. Isolés du reste par une toile rouge, ils sont les seuls, à part Otto Dix lui-même dans le panneau de droite, dont on voit le visage.


L´effet d´ensemble, la compositon: analyse formelle

Les couleurs
Gris, noir, blanc, bruns et rouges envahissent les 4 parties de cette oeuvre, ne laissant aucune place pour un ciel bleu ou de la végetation verte: l´espace est saturé de couleurs évoquant la violence et la mort. La source lumineuse, en haut du panneau central, est diffuse (on ne voit pas le soleil) et fait particulièrement bien ressortir la figure squelettique de la mort.

Les lignes
De nombreuses lignes se répètent, créant un rythme dans le tableau:
- l´alignement des troncs d´arbres du panneau central fait écho à celui des fusils dans le panneau de gauche,
- et l´arbre carbonisé du premier plan dans le panneau central est parallèle à celui du panneau de droite.
De plus, le corps squelettique du haut forme une courbe et si on la prolonge, on rejoint le tissu rouge qui couvre les morts de la prédelle: la mort semble donc former un cercle, enfermer le regard au centre du triptyque. Là encore, point d´issue, pas d´échappatoire, nous sommes comme pris à son piège.
Toujours dans le panneau central, l´oblique de l´arbre brûlé et celle des jambes du soldat à l´envers tracent une sorte de triangle dont la pointe serait en bas, ce qui crée un effet instable et accentue la sensation de chaos de cette scène.

Le triptyque (oeuvre en 3 parties principales)
En choisissant une telle composition, Dix compare son oeuvre aux retables des églises, ces peintures religieuses en plusieurs parties exposées au-dessus de l´autel, qui montrent la vie du Christ ou des saints, notamment le Retable d´Issenheim de Matthias Grünewald (1512-1516), polyptyque complexe qui a marqué Otto Dix et qui comporte 9 scènes peintes. On y trouve de nombreux points communs avec la peinture de Dix, entre autres:
- la partie inférieure, appelée ´prédelle´, représente des morts (Jésus chez Grünewald, des soldats chez Dix)
- la souffrance physique est visible, les 2 artistes montrent crûment les blessures des corps, comme dans ce détail du Christ.
- formellement, on retrouve une composition chaotique, des images de destruction et de souffrance, et des couleurs similaires, notamment dans les 2 parties sur St Antoine: St Paul et St Antoine dans le désert et La Tentation de St Antoine.
Voir aussi la page "Otto Dix et le retable d'Issenheim".


Réflexions personnelles
Et d´après vous...
- À quoi cela peut-il bien servir, de montrer des scènes de guerre 11 ans après celle-ci ?
- Pourquoi compare-t-il ces scènes de guerre à une oeuvre religieuse?
- Quelles fonctions a ce tableau ?
- Y a-t-il une forme de beauté dans cette oeuvre?

Liens
- https://www.youtube.com/watch?v=EyqVxsyaDeI
- http://sepia.ac-reims.fr/clg-villers/-joomla-/images/stories/documents/hda_fiche_otto_dix.pdf